Former et étudier avec le numérique dans le supérieur

Mois : février 2023

Petits OF : franchissez les obstacles à la modernisation de vos modalités de formation – Épisode 2

Le problème des ressources

On a vu que la résistance des formateurs au changement peut être un sérieux frein au développement du numérique éducatif pour certains organismes de formation. Mais il ne s’agit, hélas, pas du seul obstacle ! En effet, une fois passé ce premier écueil va se poser la question des ressources humaines et financières qui peuvent être affectées à un projet de modernisation. Et là, le bât blesse… une fois de plus !

Des compétences digitales à développer

Une montée en compétence des formateurs va souvent être nécessaire pour leur permettre de connaître le champ des possibles, et de faire le choix pédagogique des outils adaptés à chaque situation d’apprentissage. Ensuite, il leur  faudra être capables de se servir des applications dédiées. Mais cela ne suffit pas ! Seule une pratique régulière leur permettra d’améliorer leur efficacité avec ces outils. La courbe d’apprentissage est d’autant plus longue qu’une utilisation efficiente du numérique est nécessairement contingente ! On ne va pas utiliser les mêmes méthodes/outils encore et encore, au simple motif que l’on sait faire. Ce serait, au final, à peu près aussi engageant pour l’apprenant que de débiter des contenus du haut de son estrade en toutes circonstances, car potentiellement inadapté au contexte, sans compter que de l’absence de surprise naît la lassitude… Or, chaque outil a ses particularités… et le temps de prise en main qui va avec…

Et là, on en vient au problème majeur : le temps que les formateurs peuvent consacrer à la production de ressources numériques !

Le temps n’est pas extensible…

Si certains arguments des réticents au changement évoqués dans l’article précédent peuvent être contestables, celui-là est très objectif. OK, monter en compétence et concevoir des contenus numériques peuvent faire gagner du temps sur le long terme… mais comment dégage-t-on la mise de départ indispensable au lancement de la machine ? 

Même si l’implication de nombreux formateurs salariés* les conduit à ne pas travailler les yeux rivés sur leur montre, il y a des limites. Nier que l’investissement est chronophage ne peut être que contre-productif et renvoyer à leur réticence ceux qui avaient accepté de s’investir dans un projet de modernisation de leurs outils et pratiques pédagogiques. Un beau gâchis quand on connaît la résistance au changement qui prévaut ! C’est à la direction des OF de rendre cet investissement possible, en lui dédiant du temps venant en diminution de la charge de travail habituelle, et/ou en mettant à la disposition des acteurs des moyens supplémentaires. 

De quels moyens parle-t-on ? De moyens humains (référent numérique, ingénieur pédagogique…) pour accompagner et décharger les formateurs d’une partie des tâches de création et mise à jour de parcours, de modules ou d’activités, et/ou de moyens financiers pour externaliser la conception de ressources.

… et le budget n’est pas infini non plus !

Mais tout cela a un coût non négligeable ! Si les salaires moyens des responsables ou coordinateurs pédagogiques… ne sont pas très élevés dans les petits OF de province, ceux des personnels plus techniques – à même d’administrer une plateforme de LMS, de former leurs collègues, de concevoir et d’implémenter des contenus… – sont plus conséquents… même en dehors de l’Île-de-France ! Par ailleurs, inutile de rappeler qu’un salaire annuel de 30000 € brut, s’il n’est pas mirobolant pour celui qui le perçoit, représente en réalité un coût beaucoup plus élevé pour l’entreprise !

Quant à l’externalisation de la conception, si elle offre d’avantage de flexibilité, elle ne permet pas de faire l’économie du temps de production qui est, comme on l’a dit très élevé. Et le coût s’en ressent, cela va de soi ! Si l’on se réfère au livre blanc des tarifs du digital learning de l’ISTF, le coût moyen d’un module d’e-learning sonorisé et interactif de 20 minutes sur mesure se situerait autour de 6850 €. Ce n’est qu’indicatif, car le coût dépend du degré de digitalisation, d’interactivité et de l’usage qui en est projeté (totale autonomie, pendant une séance…), mais un point reste tout de même à retenir : le sur-mesure n’est pas à la portée de toutes les bourses… Heureusement que l’on peut faire appel au prêt-à-porter… ou au DIY** !

Une piste à exploiter : des ressources prêtes à l’emploi !

Une alternative bien moins coûteuse que la conception de ressources « à façon », surtout lorsque l’on a peu d’apprenants : l’achat de contenus « sur étagère ».

De quoi parle-t-on ? Il s’agit de parcours complets, de modules, de micro-ressources (de courtes vidéos thématiques, par exemple), de livres ou de magazines au format numériques… que vous allez pouvoir utiliser dans vos formations.

Vous avez peut-être tout de suite pensé à Pix (développement des compétences numériques) ou au Projet Voltaire (maîtrise de l’orthographe et de l’expression) ? Effectivement, ces produits en font partie. Mais ce ne sont pas les seuls ! On peut, par exemple, également citer les cours et ouvrages des éditions ENI (Informatique, bureautique, webdesign…), de Skillsday (différentes thématiques dans le développement et l’efficacité professionnelle) … ou encore votre serviteur (parcours d’insertion professionnelle pour les étudiants de premier cycle)… Ce ne sont que des exemples !

Deux types de modalités peuvent être proposées : 

  • le SAAS (Software as a Service) : les contenus sont sur la plateforme de votre fournisseur sur laquelle vos apprenants doivent se rendre pour accéder aux ressources. Cela implique qu’ils sortent de votre propre plateforme, mais aussi de multiplier leurs logins/mots de passe, si vous avez plusieurs fournisseurs, ce qui n’est pas idéal à de nombreux égards…
  • la mise à disposition de fichiers (principalement au format scorm) accessible sur la plateforme du client. Cette dernière possibilité rend votre choix d’utiliser des ressources externes transparent pour l’utilisateur, mais tout le monde ne la propose pas.

Certains fournisseurs en SAAS – non cités ici – ont une approche assez binaire : si vous les choisissez, vos apprenants peuvent accéder à toutes les ressources de la plateforme. En fait, cela revient très cher au final (et ne concerne donc pas les petits OF dont il est question dans cet article), et est, par ailleurs, incompatible avec le fait de garder la main sur le choix des éléments que l’on souhaite incorporer à ses formations !

Dans tous les cas, vous serez en général facturé en fonction du nombre d’étudiants inscrits (tarif généralement dégressifs) et de la durée de l’accès. Quant au coût moyen par apprenant, cela n’a pas de sens de l’évoquer, car il n’y a pas encore vraiment de standard en la matière, et les différences de prix peuvent être très importantes.

À noter que certains fournisseurs de plateformes de LMS proposent  également des contenus sur étagère comme service complémentaire à leur offre, à l’instar de Netopen.

Au-delà des véritables modules complets sur étagère, il est également possible de proposer des ressources brutes additionnelles aux apprenants, ou encore de fournir ces ressource aux formateurs, qui pourront s’en servir dans le cadre de leurs séances : bibliothèques en ligne, abonnement à des magazines, ou encore à des vidéos…

Une alternative plus gourmande en temps, mais ne nécessitant aucune mise de fond, dans cette dernière option DIY : les ressources gratuites. Le web en fourmille ! Il peut s’agir de ressources nativement ouvertes à la communauté (https://www.oercommons.org/, https://ed.ted.com/,  …), mais également de blogs d’enseignants et de formateurs… qui partagent leurs ressources pédagogiques, dont des exercices, ou encore d’articles divers et variés pouvant servir de base à des activités. En effet, il ne faut pas oublier que l’on peut en toute légalité incorporer des liens dans ses supports ! Cela permet de se constituer pas mal de « briques » à exploiter dans les formations en présentiel ou en distanciel. Il n’y a plus qu’à ajouter le mortier !

 

Pour clore ce petit tour d’horizon, qui n’a pour objet que de vous servir de point d’entrée pour aller plus loin, n’oublions pas que de nombreuses régions et autres acteurs de la formation professionnelle (OPCO, FFP…) ont accordé/accordent des aides à la modernisation et à la digitalisation des formations des OF, sous une forme financière et/ou de mise à disposition de prestataires. Un bon viatique pour mettre le pied à l’étrier !

 

*C’est essentiellement des formateurs salariés que l’on parle ici. En effet, les formateurs non-salariés ont tout intérêt a prendre sur leur temps personnel pour développer des ressources qu’ils vont pouvoir optimiser lors de leurs interventions dans plusieurs organismes !

** Do It Yourself = bricolage

Petits OF : franchissez les obstacles à la modernisation de vos modalités de formation – Épisode 1

Les réticences des formateurs

Les velléités d’exhortation au tout digital en formation ont vécu. 

Obstacles sur une piste de coursePourquoi ? Une prise de conscience, une fois passé le “tout nouveau tout beau”, que cette modalité ne convient pas à de nombreux apprenants, a remis le digital à sa place : celle d’un outil dont l’utilisation doit être contingente. Un retour au bon sens, donc. C’est l’hybridation qui a la cote. Jusque là, tout va bien…

Mais ce n’est pas tout. Et la seconde raison est plus embêtante, car elle impacte également le blended et le digital au service du présentiel.

En effet, on peut constater une nette persistance d’un sentiment de rejet du numérique éducatif suite à la période Covid. Ou, devrait-on plutôt dire, à de très mauvaises expériences dans ce domaine pendant la période Covid.

Et cette aversion se trouve aussi bien chez les formateurs, alors contraints dans la douleur de bouleverser leurs pratiques, que chez les apprenants, forcés de subir les errements des premiers. Ajoutez à cela l’épouvantail ChatGPT – “la-grosse-méchante-IA-qui-va-traiter-les-évaluations-à-la-place-de-mes-étudiants”, et vous obtenez une proportion non négligeable de formateurs complètement fermés à l’idée de moderniser leurs pratiques…

Eh oui, les récents délires relatifs aux formations dans les métavers (un sujet sur lequel on reviendra plus tard) sont à des années-lumière des préoccupations qui ont cours au sein des petits OF !

Heureusement, les directions de ces établissements et quelques formateurs éclairés ont bien pris conscience du caractère incontournable d’une introduction raisonnée du digital dans leurs formations, pour tous les avantages qu’elle présente. Mais le chemin est semé d’embûches. Et le premier obstacle à surmonter est donc la réticence des acteurs, et en premier lieu des formateurs.

Opération séduction et formation sont indispensables pour que la transition soit réussie. Et il faut accepter que le chemin soit long, car vouloir brûler trop vite les étapes risque de conduire le projet de modernisation à l’échec.

Comprendre et anticiper les réserves

Commençons avec une petite FAQ du formateur/enseignant EdTechsceptique*… et les réponses qui vont avec !

Attention : ledit formateur n’est pas forcément un numéricosceptique* ! Si l’on trouve encore quelques formateurs souffrant d’illectronisme plus ou moins prononcé, cela devient rare. La plupart des réticents ne sortent pas sans leur smartphone, comme tout le monde, et n’ont aucun problème pour utiliser correctement un outil de visio… pourvu que ce soit à des fins personnelles…

Certaines critiques sont clairement exprimées.

  • Le but de l’OF est de remplacer les formateurs !

Remplacer, non. Dans les petits OF dont on parle, on n’en est pas à faire du 100% e-learning… et ce n’est pas un objectif – un “sujet” pour parler la novlangue de l’entreprise ! Il s’agit juste d’introduire du digital pour booster le présentiel, ou de faire de l’hybridation “light”. L’idée est d’optimiser la présence du formateur pour lui confier des missions à valeur ajoutée : suivi personnalisé, explications, remédiation… Pas de lui faire lire un bouquin à son groupe. Honnêtement, est-ce que ce n’est quand même pas plus valorisant ?

  • Le digital ne sert à rien dans ma matière.

Vraiment ? En fait, c’est intéressant de voir que les profs des disciplines nécessitant a priori une présence physique (musique, sport…) ont réussi à assurer une continuité pédagogique pendant les confinements. Évidemment, chaque discipline a ses contraintes et ses spécificités. Il faut réfléchir à ce que le digital peut apporter. Un exemple ? Photographier ou filmer des lieux, des postures qui vont bien… ou qui ne vont pas. Ce n’est qu’un exemple, car le champ des possibles est très vaste !

  • Je n’ai pas le temps de produire des contenus.

Alors là oui, c’est un argument recevable, qui mérite attention, prise en compte et négociation ! On peut objecter que mettre des PDF à disposition sur le LMS prend moins de temps que faire des photocopies. On peut également arguer que le travail de digitalisation est compensé par un gain de temps à court terme (correction automatique quand on a passé beaucoup de temps à produire un bon QCM) ou à moyen/long terme (réutilisation des contenus lors de la session suivante…). Par contre, sauf à être de mauvaise foi, on ne peut pas nier que l’ingénierie pédagogique, la scénarisation et l’implémentation d’un module raisonnablement interactif même pour un usage en présentiel… prennent du temps… beaucoup de temps, même… Et sur ce point, il faut pouvoir aligner des moyens humains et financiers (les deux se rejoignant, d’ailleurs). Là, c’est à la direction de l’OF de prendre les bonnes décisions, en profitant de certaines opportunités au passage. Stay tuned!

Il y a cependant des peurs que le formateur aura plus de mal à formuler, parce qu’elles peuvent remettre en cause sa motivation, son implication, sa fiabilité, voire sa compétence. Il faut cependant être conscient que ces réserves sont prégnantes, pour les soulever… et les lever !

  • J’ai un problème avec le respect du droit d’auteur.

Il s’agit plus exactement de deux problèmes :

J’utilise des contenus que je n’ai pas le droit d’utiliser… En clair, je photocopie/pille à tour de bras des bouquins et je distribue des liasses de papier à mes apprenants. Alors ça fait désordre de mettre les PDF sur le LMS…  Rien de plus vrai ! Effectivement, ça ne se fait pas. Une réponse : fournir aux formateurs une liste de ressources éducatives libres (nombreuses sur le Web), dont ils pourront donner les liens ou utiliser des extraits dans le respect du droit. L’OF peut également acquérir des ressources dans lesquelles les formateurs iront piocher. On développera ce point dans l’épisode 2.

Je ne veux pas qu’on me pique mes productions ! Le formateur est propriétaire de ses productions originales et l’OF n’a pas le droit de les utiliser sans son accord, à moins qu’une cession des droits d’exploitation ne soit mentionnée dans son contrat. Pour rassurer les formateurs, il est préférable de préciser en clair dans ce document l’absence de cession de droit et de communiquer sur ce point.

  • Ouvrir les portes de la salle de cours (en vrai, les accès au contenu sur le LMS)… et permettre à l’administrateur de la plateforme de voir ce que je fais ! Jamais de la vie !!! 

Digitaliser nécessite une formalisation de ce qui se passe pendant la formation. Comme le dit le proverbe, les paroles s’envolent, les écrits restent. Honnêtement, quelles sont les professions où l’on peut valablement cacher son travail à sa hiérarchie ou à son client ? C’est donc un faux problème, juste une mauvaise habitude. Et, a contrario, quel est le directeur d’OF qui a suffisamment de temps à perdre pour “fliquer” tout ce qui se passe ? Vous avez l’habitude d’entendre la petite phrase suivante lorsque vous contactez de nombreux services : “Nous vous informons que cet appel est susceptible d’être enregistré”, pas vrai ? Et vous pensez que tous les salariés concernés par ledit enregistrement sont au bord de la démission ? Sérieusement ? C’est le “susceptible de” qui fait la différence, ainsi que le fait que l’on n’ait aucune raison d’aller s’intéresser à ce que vous faites… sauf s’il y a un problème.

Être proactif

Parler d’une solution serait très ambitieux, et pas vraiment réaliste. Mieux vaut évoquer des pistes à suivre… avec pragmatisme, mesure et contingence, comme toujours ! Quelques “tips” pour partir d’un bon pied :

  • Communiquer avec les formateurs et les inciter à exprimer leurs réserves.
  • Favoriser une utilisation “light” du digital en présentiel, pour commencer, en en montrant tous les bénéfices… pour le formateur.
  • S’appuyer sur une équipe restreinte pour mettre en place des projets qui marchent, à montrer aux autres en modèles, avant de chercher à déployer des solutions de plus grande envergure.
  • Proposer aux formateurs des sensibilisations et formations à l’usage du digital en pédagogie.
  • Avoir un référent digitalisation qui répondra aux questions et donnera un coup de main aux membres de l’équipe quand le besoin se fera sentir.
  • Faire du LMS de l’organisme un outil incontournable, en s’en servant comme d’un moyen de communication avec les formateurs et les apprenants.
  • Rassurer les formateurs sur la propriété intellectuelle des contenus qu’ils déposeront sur la plateforme.

Pour en finir avec les réticences, quid des apprenants ? Il seront plus faciles à séduire, une fois que l’on pourra leur proposer du digital de qualité, et à condition de se préoccuper en amont de l’équipement dont ils disposent. Une formation à l’utilisation de la plateforme et une bonne communication devraient faire l’affaire.

Au programme dans le prochain épisode : le problème des moyens…

* Attention : néologisme 😉