L’impossibilité d’enseigner en présentiel en cette fin d’année universitaire a imposé aux établissements et aux formateurs de se mettre au distanciel dans l’urgence, et, pour nombre d’entre eux, sans préparation, voire sans aucune aide.

Je n’évoquerai pas ici les enseignants qui ont disparu des radars pendant plusieurs mois, ni, à l’opposé, ceux qui ont déjà une bonne expérience des outils numériques éducatifs et de l’enseignement en ligne, pour me concentrer sur ceux qui ont essayé de dispenser leur cours et de garder le contact avec leurs étudiants pendant la fermeture des établissements, sans connaissance préalable dans le champ de l’enseignement à distance.

Le constat

Les situations étaient très différentes d’un établissement à l’autre. Si les universités sont, pour la plupart, dotées depuis longtemps de leur propre plateforme d’apprentissage en ligne, et d’un service de support aux équipes éducatives, ce n’était pas le cas de nombreux petits organismes de formation privés, qui ont souvent adopté dans l’urgence une plateforme collaborative, par exemple Microsoft Teams, et/ou un ensemble d’applications en ligne.

Il est difficile, voire impossible, de dresser un panorama exhaustif des moyens qui ont été employés, mais il s’est agi essentiellement :

  • de mettre des matériaux de cours (produits par le formateur ou externes) et des énoncés d’activités à la disposition des étudiants, au moyen de plateformes variées (moyens asynchrones) ;
  • d’animer des webinaires, classes virtuelles, chat, et/ou de passer des appels visio ou téléphoniques (moyens synchrones) ;
  • de pratiquer des évaluations synchrones ou asynchrones (quiz, devoir à rendre, oral en visio…).

Pouvez-vous revendiquer d’être un pro du distanciel, si vous avez reconnu vos pratiques dans la description qui précède ? Eh bien, non, cela ne suffit pas !

Distanciel v/s présentiel à distance

  • Tout d’abord, l’emploi du temps des apprenants a souvent été conservé en l’état : l’enseignant était censé intervenir sur un créneau donné.

Or, si certaines activités synchrones peuvent être intégrées à un enseignement 100% en ligne, sous la forme de classes virtuelles, par exemple, ou encore de mentorat, le travail est globalement réalisé en autonomie, au rythme de l’apprenant. La « pédagogie » passive des fesses sur la chaise n’est pas de mise dans ce contexte. Le digital learning exige de l’apprenant d’être actif.

  • Ensuite, avez-vous supprimé l’aspect « magistral » du cours, lors de vos sessions en visio ? Celui où vous parlez face à votre public, sans possibilité d’interaction ?

Si ce n’est pas le cas, sachez que dans le cadre d’un véritable e-learning, le matériau de cours est généralement disponible sous forme textuelle et/ou en vidéo, et consulté/assimilé par l’apprenant à son propre rythme. Les périodes synchrones sont réservées à des explications et du soutien. Cette organisation est assez logique : la valeur ajoutée d’un formateur n’est pas de délivrer des contenus en direct, alors que ces derniers sont « statiques », mais de les expliquer et de répondre aux questions des apprenants.

  • Par ailleurs, étiez-vous joignable/répondiez-vous aux sollicitations des étudiants en dehors des heures de « cours » à proprement parler ?

Dans le cadre d’une « vraie » formation en ligne, l’étudiant travaillant à son rythme a besoin d’avoir des réponses à ses questions au moment où il se les pose, ou, au moins, dans un délai raisonnable.

  • Enfin, la façon dont vous avez dispensé vos cours a-t-elle été vraiment efficace pour permettre aux étudiants d’acquérir les compétences visées ?

Objectif atteint, me direz-vous, si on se réfère aux taux de réussite mirifiques aux examens cette année ! Vu la façon dont se sont souvent passées les évaluations, on peut fortement en douter… Ce n’est que l’année prochaine, si la « bienveillance » revient à un niveau habituel, que les dégâts seront palpables.

En fait, le contexte de l’enseignement totalement à distance est, pour les étudiants, très différent de celui de l’enseignement en face-à-face. Le taux élevé de décrochage que connaissent les formations en ligne en témoigne. Les modalités pédagogiques doivent permettre de surmonter des écueils qui sont nombreux, contrairement à ce que la flexibilité de cet enseignement peut laisser penser.

Adopter de nouveaux outils nécessite toujours un temps d’adaptation, et vous êtes parvenu à vous adapter, si vous ne les utilisiez pas déjà. Bravo, car c’est une compétence nécessaire, bien que non-suffisante, pour moderniser votre façon d’enseigner et profiter pleinement de toutes les possibilités que vous offre le numérique dans ce domaine !
Mais les outils… ne sont que des outils !

En bref, l’enseignement que vous avez dispensé n’était généralement pas de l’enseignement en ligne, mais plutôt un « présentiel en ligne », transposition « moderne » de la classe au sens physique du terme.

Vers une amélioration des pratiques

Une première étape a été franchie, mais le chemin reste long à parcourir, pour qui souhaite exercer durablement son activité à distance ! Reconsidérer le rôle du formateur et changer son approche pédagogique permettra de passer à l’étape suivante. Il est indispensable d’en être conscient pour continuer à adapter ses pratiques dans un environnement en perpétuel changement.

La solution ? Il n’y a pas de miracle : mener une veille didactique et technologique, expérimenter sans cesse, se former… en ligne, et évaluer ses propres pratiques, en se confrontant notamment au retour des apprenants, dans une logique d’amélioration continue.

Bien entendu, les formateurs et enseignants ne sont pas les seuls maîtres du changement notable qu’il faut mettre en place ! Les établissements et organismes de formation ont un rôle essentiel à jouer : en assouplissant le cadre temporel de la formation, en procurant aux étudiants et formateurs les applications nécessaires, ainsi qu’en leur assurant formation et support ! Le statut d’indépendant de nombreux formateurs intervenant dans des établissements d’enseignement supérieur privé ne facilite pas les choses : peur de partager son matériau pédagogique, manque d’implication, parfaitement justifié, en dehors des heures payées… et manque de confiance en leurs formateurs de la part des organismes, sont autant de freins supplémentaires à un changement de cap qui est pourtant nécessaire.